Le fils indigne de Louise Brooks et de Cioran
Les carnets de Roland Jaccard
Publié le 27 juin 2015
1. Un salaud sympathique
L’affaire est entendue : je suis le fils – illégitime, bien sûr – de Louise Brooks et de Cioran. L’actrice américaine et le volcanique Roumain partageaient la conviction que la création est une aberration, la procréation un crime et la concision un devoir. Il va de soi qu’ils ne pouvaient rêver pire héritier : j’ai trahi mon père quelques mois avant sa mort en révélant dans un quotidien parisien son peu glorieux passé sous le nazisme, ce qui est une forme particulièrement perfide de parricide. Pour ma défense, je citerai ce mot qu’il m’avait écrit en avril 1991, le 10 précisément : « Il est grand temps que vous écriviez vos Mémoires et que vous nous exécutiez tous. »
Avec Louise Brooks, je me suis montré plus indigne encore. Alors qu’elle me suppliait de lui apporter une arme à feu pour mettre fin à ses jours, j’ai décliné son invitation de me rendre à Rochester où elle végétait dans un modeste studio. J’avais là encore une excuse : ma mère, ma vraie mère, sentant venir sa mort, m’avait fait prêter serment de lui enfoncer dans le cœur une aiguille à tricoter le jour de son décès tant elle redoutait d’être enterrée vivante. Mon acquiescement avait été de pure forme, mais l’avait apaisée. Je n’avais nulle envie de récidiver avec Louise Brooks. Après tout, que les gens s’arrangent avec leur propre mort sans compter sur autrui, fût-ce leur famille. D’ailleurs compter sur autrui mériterait déjà une peine pire que la mort.
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